14/10/2025 voltairenet.org  5min #293395

Douguine dissèque l'herméneutique de la « philosophie de la complexité » de Poutine pour le nouvel « ordre multipolaire »

par Alfredo Jalife-Rahme

Alexandre Douguine, un philosophe caractéristique de la pensée traditionnelle russe, a décrit la définition de la multipolarité de Vladimir Poutine. Loin de la vision simpliste occidentale selon lesquelles plusieurs puissances prendraient la place de l'hyper-puissance états-unienne, il souligne que le président russe rompt avec la pensée linéaire et évoque celle de la physique quantique.

Alexandre Douguine

Hier, le philosophe russe Alexandre Douguine a disséqué le discours de Poutine devant le Club Valdai - que j'ai abordé d'un point de vue géopolitique [1] - qu'il définit comme « un cyanotype philosophique pour le monde multipolaire » et « montre comment la complexité quantique, la souveraineté civilisationnelle et le réalisme stratégique forment un nouvel ordre mondial qui défie les simplifications occidentales [2] ». Alexandre Douguine commente : la « philosophie de la complexité » de Poutine constitue « une alternative au modèle globaliste occidental ».

Il oppose le style cyclothymique et kaléidoscopique de Trump à la définition de Poutine de la « multipolarité » qui repose sur la biodiversité biosphérique : « elle représente quelque chose de nouveau. Ce n'est ni un monde bipolaire, ni unipolaire, ni le système westphalien des États-nations, où chacun est censé être souverain, mais ne l'est pas en réalité. Seuls les grands États-civilisations peuvent être véritablement souverains dans notre monde », ce qui nécessite une « conscience géopolitique ».

Il estime que « le modèle du monde multipolaire, où les pôles sont les pays civilisateurs, n'a pas eu d'équivalent », à l'exception de « la structure de l'humanité avant l'ère des découvertes » avec ses ensembles civilisateurs entiers : « le califat islamique, la civilisation indienne, l'empire chinois, les royaumes africains, les empires russe/byzantin et européen occidental ». Poutine est l'anti-Huntington du choc des civilisations ! Alexandre Douguine affirme qu'« avant le colonialisme, il existait une véritable multipolarité consacrée par les empires, les pays civilisateurs et les macro-pays », dont « la transition (sic) est aujourd'hui esquissée par Poutine ».

Alexandre Douguine considère que « le changement significatif s'est produit avec Trump » lorsque « le concept MAGA (Make America Great Again) comportait la reconnaissance, dès le début, de la multipolarité » que rejettent les adeptes de l'unipolarité : « Poutine a parlé de la défense des intérêts nationaux avec calme et délicatesse, soulignant que nous avons plus de choses en commun avec Trump qu'avec les mondialistes européens. Notre convergence avec les États-Unis n'est pas mentionnée ».

Aujourd'hui, « le grand processus de transition (méga-sic !) vers la multipolarité touche toutes (sic) les régions » alors qu'« aux États-Unis et en Europe, il existe une véritable guerre civile entre les conservateurs et les libéraux mondialistes qui restent fidèles à l'unipolarité : des politiciens sans substance, animés uniquement par la volonté frénétique et agonisante de préserver le régime unipolaire et son idéologie ».

Douguine soutient que l'épistémologie de Poutine sur la multipolarité « doit guider l'éducation, la culture, la politique et l'économie », ce qui « n'est pas une nouveauté », mais « approfondit » seulement la théorie de la philosophie de la complexité développée par le penseur français Edgar Morin - ce qui nous oblige à analyser l'œuvre du prodigieux Edgar Morin, aujourd'hui âgé de 104 ans, qui a inventé le terme « polycrise » [3].

Douguine poursuit son interprétation : « Poutine a mentionné à plusieurs reprises les processus non linéaires du nouveau monde, les comparant à la mécanique quantique. Les processus non linéaires et la mécanique quantique impliquent une interconnexion, où même le plus petit changement au niveau micro - d'un blogueur avec un iPhone à une seule personne - affecte les processus macro globaux. Ce n'est plus un monde de mécanique linéaire ». En effet, le monde souffre aujourd'hui de la nouvelle « tour de Babel des super-spécialités », de plus en plus ultra-réductionnistes.

Il conclut que « le monde moderne, avec sa multipolarité, est un système complexe » qui oblige à « se tourner vers la mécanique quantique et l'étude des civilisations, des religions et des théologies qui déterminent à nouveau le cours des événements », ce qui est « une invitation à la transformation de la conscience de tout le pays et, en particulier, de sa classe pensante », afin d'« abandonner les points de vue simplistes de la réalité ».

La conclusion de Douguine : « une grande puissance nécessite une grande philosophie », sans laquelle « elle devient un golem : une construction mécanique actionnée par des mains étrangères », alors que « le monde est gouverné par ceux qui pensent ».

 Alfredo Jalife-Rahme

Traduction
 Maria Poumier

Source
 La Jornada (Mexique)
Le plus important quotidien en langue espagnole au monde.

[1] «  Poutine propose une « coexistence pacifique » à Trump lors du sommet du club de Valdaï à Sotchi », par Alfredo Jalife-Rahme, Traduction Maria Poumier, La Jornada (Mexique), Réseau Voltaire, 6 octobre 2025.

[2] «  Putin and the Philosophy of Complexity », Alexander Dugin, Multipolar Press, October 11, 2025.

[3] La méthode, Edgar Morin, Seuil (1977). «  Polycrise », Wikipedia

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